François Hollande renonce à se présenter au combat électoral de 2017. L’abandon présidentiel est salué comme courageux par les uns, lucide par les autres. Les qualificatifs fleurissent. Une réalité s’impose : l’actuel locataire de l’Elysée n’engagera pas sa responsabilité personnelle devant les français pour l’action menée depuis cinq ans. Ce faisant, le chef de l’État installe de son propre chef le mandat unique. C’est une première sous la Cinquième République. Avant lui, et hormis George Pompidou pour les raisons que l’on sait, les mandats uniques avaient été imposés par le peuple (Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy). La décision de François Hollande de priver le peuple de son droit de sanctionner sa politique est assurément un fait politique majeur et exceptionnel au regard des mœurs politiques françaises, les responsables politiques s’identifiant davantage à des berniques que des boxeurs jetant l’éponge. Sur le plan institutionnel, la séquence politique qui vient de se dérouler rend compte surtout d’un système institutionnel dénaturé, d’un système dont se sont emparés les partis politiques sous couvert de davantage de démocratie (primaires). Le Président est, d’une certaine façon, déchu, mais paradoxalement la fonction présidentielle en sort affermie alors que la déchéance présidentielle gangrénait le système institutionnel.

Cette déliquescence institutionnelle est le résultat d’un long processus de délitement de la responsabilité et de l’autorité présidentielles. Dissolution ratée, référendum perdu, majorité législative indisciplinée, autant de causes de l’affaiblissement considérable de la fonction présidentielle depuis vingt ans. Le coup de grâce a été porté par François Hollande lorsqu’il accepte, conformément aux statuts du Parti socialiste, le principe de se soumettre, lui le Président, aux primaires organisées par son parti. Comment admettre qu’un Président en exercice puisse être confronté à ses anciens ministres ? Comment comprendre qu’un Président en exercice puisse n’être qu’un vulgaire candidat à sa propre succession. Incompréhensible ! Le parti Les Républicains s’est montré, de ce point de vue, beaucoup plus raisonnable et respectueux de la fonction présidentielle en excluant toute organisation d’une primaire dans l’hypothèse d’un Président en exercice sortant de ses rangs et candidat à sa propre succession. Sagesse qui préserve l’autorité présidentielle. Non seulement le Président sortant, chef de la majorité, doit pouvoir défendre son bilan devant le peuple mais encore le Président sortant doit pouvoir exercer pleinement et totalement ses fonctions de chef de l’État sans être prisonnier d’un calendrier de candidat à une élection interne. Elu du peuple, il n’a pas à rechercher une légitimité au sein d’un conseil de famille élargi.

Les primaires présidentielles sapent les institutions. Le Président en est la première victime. L’affaiblissement du Président intervient inévitablement lorsque sa désignation comme candidat à la fonction présidentielle intervient après l’établissement des investitures aux élections législatives. La discipline des députés élus de « la majorité présidentielle » n’est pas garantie, sauf si le candidat désigné est le patron du parti majoritaire au moment de la primaire. A défaut, il s’expose à une contestation plus ou moins feutrée voire à une résistance bruyante impactant négativement son action relayée par le gouvernement. A défaut son autorité est atteinte s’il n’est pas en mesure de présenter des résultats en rapport avec ses promesses. En revanche, la déchéance présidentielle est inéluctable lorsque la formation politique aux responsabilités ne protège pas celui qui dirige l’État et qui entend briguer de nouveau les suffrages des électeurs. L’exclusion de toute primaire par le parti dont le Président est issu dès lors qu’il est en capacité juridique de se représenter conditionne l’autorité présidentielle. Admettre une concurrence, sous prétexte d’un bel exercice démocratique, est une absurdité que le parti Les Républicains n’a pas reproduite dans ses statuts.

L’épisode vécu ce 1er décembre démontre enfin combien il n’est pas besoin de changer de Constitution pour bouleverser les institutions dès lors qu’aucune précaution n’est prise pour préserver l’esprit du régime. Est-ce un hasard si les plus farouches partisans des primaires présidentielles à gauche, y compris dans l’hypothèse d’un Président en exercice issu de ses rangs, sont ceux-là mêmes qui réclament, depuis plus de dix ans, une Sixième République rognant autant que possible le prestige de la fonction présidentielle ? Les primaires présidentielles de droite ont tiré les enseignements des incohérences du statut du parti socialiste dans le choix de son candidat à l’élection présidentielle. De façon plus générale, les primaires présidentielles ont non seulement impacté le fonctionnement des institutions de manière beaucoup plus profonde et déterminante que nombre de révisions constitutionnelles depuis vingt ans mais encore révèlent une véritable crise des formations politiques incapables de choisir en leur sein celles et ceux qui sont dignes de les représenter à l’élection présidentielle. Plus gravement encore, les quatre tours de l’élection présidentielle qui s’apparentent à un véritable jeu de quilles aux mains de citoyens intéressés, personnalisent encore davantage l’élection présidentielle (d’où une contestation encore plus acerbe de celui qui est élu – il est seul) au détriment des projets programmatiques collectifs. Cette généralisation des primaires est un fait. Les primaires présidentielles se sont installées durablement dans le paysage politique français. Le retour en arrière n’est plus possible. C’est pourquoi les règles internes aux formations politiques permettant d’assurer au Président une majorité législative cohérente et de protéger son autorité sont essentielles à la survie du système de la Cinquième République. A défaut, elle n’y survivra pas.

Outre un bilan discuté et une popularité au plus bas, le renoncement présidentiel du 1er décembre est aussi le résultat, d’une part, d’un quinquennat plombé par les querelles au sein d’une majorité législative dont les contours ont été définis avant la désignation de F. Hollande comme représentant de la gauche socialiste et radicale de gauche et, d’autre part, par l’organisation d’une primaire des grognards dont la raison d’être est le déglinguage des politiques entreprises depuis cinq ans en dépit de leur contribution, pour certains, active. La présence probable du Premier ministre aux primaires de gauche ne résout pas le problème. Celui-ci va devoir affronter au sein de sa famille politique une véritable opposition à une politique dont il a été l’un des inspirateurs. Certes, il n’est pas le Président, pas plus que ne l’était François Fillon. Précisément, le vainqueur des primaires de la droite et du centre a eu cette lucidité de présenter un programme pour l’avenir sans renier le passé. Il ne s’est pas positionné dans la suite de Nicolas Sarkozy. Manuel Valls doit s’en inspirer même s’il n’a pas pour lui une parenthèse de cinq années. Au final, c’est le combat d’idées et la confrontation des programmes qui y gagneront.

Il reste que le système des primaires à gauche détruit l’autorité présidentielle. Le renoncement de François Hollande l’illustre. La déflagration sur la fonction présidentielle en cas de défaite au sein de sa famille politique aurait été terrible. Se présenter hors primaires eut été pour le Président de la République une démarche logique mais, compte tenu des statuts du Parti socialiste, l’initiative serait apparue comme un renoncement coupable. Ses anciens ministres ne se seraient pas privés de dénoncer une telle attitude tout en faisant leur possible pour être présents au premier tour de l’élection présidentielle. Bien entendu, si les succès économiques et sociaux avaient été à la hauteur des espérances de 2012, le système des primaires à gauche n’eut pas soulevé les mêmes difficultés bien que toujours condamnable pour un Président sortant. Mais les gouvernants depuis près de trente ans sont contestés dès leur accession aux responsabilités. Encore plus rapidement depuis l’instauration du quinquennat. La machinerie anti-gouvernementale alimentée par l’opposition est amplifiée désormais par les réseaux sociaux qui installent un nuage permanent de contestation autour des politiques de l’Exécutif. Dans ces conditions, organiser méthodiquement au nom de la démocratie la concurrence entre le Président sortant et les membres de sa famille politique était tout simplement suicidaire. En renonçant à se présenter pour de multiples raisons en 2017, François Hollande a fui sa responsabilité personnelle. Mais, paradoxalement, en refusant de se soumettre à la primaire, il a préservé l’autorité présidentielle. En choisissant de n’exercer qu’un seul mandat, il promeut une nouvelle conception de la responsabilité politique. Rare mais salutaire. Publié sur Huffingtonpost.