Depuis que le Président de la République a acté l’accélération du calendrier de la réforme territoriale, nombreux sont ceux à droite et quelques personnalités à gauche qui réclament un référendum national sur cette question. Si ce qu’on dénomme improprement « démocratie participative » est une méthode de gouvernement prétendument populaire pour ne pas dire d’inspiration populiste, la question première qui se pose est la faisabilité constitutionnelle d’une telle option. La Constitution de 1958 règle précisément la procédure référendaire. Deux voies sont ouvertes. Quitte à décevoir, la première procédure de recours direct au peuple, à laquelle pensent et appellent des responsables politiques toujours prêts à endosser l’habit de « référendo-maniaques » pour mieux s’opposer à une réforme, est constitutionnellement impossible. En revanche, s’il s’agit de soumettre la réforme territoriale, dans ses principes, au peuple constituant, l’option est recevable sous certaines conditions, très loin d’être réunies aujourd’hui. Encore faut-il ajouter que ces procédures dépendent de l’objet de la réforme : disparition des conseils généraux, délimitation des régions.

Le Président de la République, maître de l’option référendaire.

On distingue traditionnellement le référendum législatif qui intervient dans la législation ordinaire et/ou organique (article 11 de la Constitution) du référendum constituant (article 89 de la Constitution) dont l’objet unique est d’amender le texte constitutionnel. Cette distinction classique, outre son inexactitude (il est juridiquement possible et politiquement souhaitable parfois de modifier le texte constitutionnel sur ce fondement – élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962) -, ne rend pas compte des limites et des obstacles des deux procédures dont on retiendra la présentation de droit commun pour la clarté du discours, en dépit de la réserve à l’instant mentionnée.

Point commun entre elles, le Chef de l’Etat reste maître du jeu hors la situation où il affronte l’hostilité des deux assemblées parlementaires.

Pour un référendum législatif, lorsque la loi référendaire émane d’une proposition du gouvernement ou du Parlement, il lui revient dans tous les cas de figure de décider la convocation ou non du corps électoral (délimitation des régions exemple). Le Premier ministre ou le Parlement ne font que proposer. En revanche, si les assemblées parlementaires sont saisies d’une proposition de loi référendaire issue d’une initiative minoritaire partagée (présentée faussement comme une initiative populaire et relayée malheureusement comme telle par la très grande majorité des organes de presse) le Président peut se voir imposer une consultation populaire. Il suffit que chacune des assemblées approuve le texte dont elles sont saisies ou refuse d’examiner ladite proposition, passée au crible du contrôle de constitutionnalité, au moins une fois dans un délai de six mois à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu’elle a obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales (les électeurs soutenant – et non étant à l’origine – une initiative d’au moins un cinquième des membres du Parlement -article 11 alinéas 3, 4 et 5 de la Constitution). Mais quel serait l’intérêt pour un Parlement hostile au Président de refuser de statuer sur une proposition de loi recueillant un large assentiment de la majorité parlementaire alors que son approbation parlementaire entraîne la tenue du référendum ? A l’inverse, quel serait l’intérêt d’une majorité législative et sénatoriale de rester inerte face à une initiative qu’elle réprouve dans la mesure où l’examen formel et/ou le rejet au fond de la proposition suffi(sen)t à ne pas déclencher la procédure référendaire ? Précision utile : une loi organique du 6 décembre 2013 fixe l’entrée ne vigueur du référendum d’initiative minoritaire partagée à compter du 1er janvier 2015.

S’agissant du référendum constituant (suppression par exemple des conseils départementaux et/ou des départements, voire purge des compétences des conseils départementaux tout en les maintenant), le Parlement peut imposer la consultation directe du peuple si, et seulement si, se dégage un accord sur une proposition de loi (initiative parlementaire) adoptée en termes identiques par les deux chambres. Outre le caractère très exceptionnel d’une configuration politique propice à cette confrontation (les deux premières cohabitations), la probabilité de l’aboutissement d’une réforme constitutionnelle d’origine parlementaire contre l’opinion présidentielle est très improbable. Elle suppose le soutien du Premier ministre, que l’objet de la réforme par son intérêt justifie la convocation du corps électoral sans compter que l’initiative peut-être perçue comme un coup de force contre le Président de la République, gardien politique de la Constitution et garant du bon fonctionnement des institutions. En l’occurrence, la question ne se pose pas, l’opposition étant minoritaire dans au moins une des chambres.

La réforme territoriale, objet étranger au champ référendaire « législatif »

L’article 11 de la Constitution fixe également les limites matérielles d’un recours au peuple. Son champ est en effet très strictement circonscrit. On rappellera la teneur essentielle de cette disposition constitutionnelle appliquée à huit reprises depuis 1958 :  » Le Président de la République…peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions…Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.. ».

Il n’est pas besoin d’être un spécialiste des questions constitutionnelles pour observer comme une évidence que la réforme territoriale n’entre pas dans le champ référendaire visé par la disposition constitutionnelle et qu’invoquent des responsables politiques pour réclamer une votation populaire sur le projet présidentiel. La seule discussion – à la rigueur – ouverte intéresse les contours de la notion de « pouvoirs publics ». A moins bien entendu de s’adonner à une interprétation très large de cette expression, interprétation objectivement déraisonnable. Il est en effet unanimement admis, sans que l’on puisse trouver en doctrine une opinion divergente à ce jour, que les pouvoirs publics concernent les organes centraux de l’Etat mentionnés dans le texte constitutionnel à savoir le Président de la République, le Premier ministre, le Gouvernement, le Parlement, le Conseil constitutionnel, la Cour des comptes et le Conseil Supérieur de la Magistrature pour les principaux d’entre eux. Pour faire référence à des documents officiels, la mission « Pouvoirs publics » de la loi de finances est même plus restrictive encore. Elle n’inclut que les organes du pouvoir exécutif, du pouvoir parlementaire, le Conseil constitutionnel, la Haute Cour et la Cour de Justice de la République. Point de collectivités territoriales locales. La Constitution interdit donc toute possibilité d’interroger le peuple sur la réforme territoriale dans une dimension législative ordinaire ou constituante sur le fondement de l’article 11 de la Constitution. Or de toute évidence, il s’agit là de la seule procédure qui permettrait de lever les obstacles politiques majeurs qui naissent de la seconde procédure évoquée, celle de l’article 89 de la Constitution, procédure habituelle mais néanmoins concurrente pour modifier le texte constitutionnel.

L’improbable référendum constituant.

S’agissant de la procédure référendaire de l’article 89 de la Constitution, le champ des possibles est, au contraire, illimité. Le pouvoir constituant est souverain. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé à ceux qui en doutaient dès 1992. Il l’a réaffirmé avec force en 2003 en déclinant sa compétence pour examiner une loi de révision constitutionnelle. Le pouvoir constituant n’est pas matériellement limité si ce n’est l’interdiction qui lui est faite de modifier la forme républicaine du gouvernement. Cela étant précisé, de sérieux obstacles sont à surmonter pour envisager la suppression des conseils départementaux, de la catégorie de département ou la réduction à néant de leurs compétences essentielles.

Tout d’abord, cette procédure de révision constitutionnelle implique au préalable un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur un texte identique. Sans présumer de la position de la seconde chambre, il est fort à parier que celle-ci s’oppose au projet de loi présenté par le Premier ministre, surtout s’il s’agit de supprimer les conseils départementaux, fort bien représentés sur les bancs feutrés du Sénat. N’évoquons même pas longuement, si les débats parlementaires n’aboutissent pas avant le terme de la très probable prochaine session extraordinaire en juillet, l’hypothèse de plus en plus réaliste d’un basculement clair du Sénat à droite en septembre prochain à la suite des résultats des dernières élections municipales qui ont vu les forces de gauche subir un important revers. Ensuite, et dans l’hypothèse la plus optimiste d’un accord entre les deux assemblées sur un texte proposé par le Premier ministre, il convient de tenir compte de l’option présidentielle pour le soumettre au référendum ou au Congrès (réunion des députés et des sénateurs). Hormis la révision portant sur le quinquennat, toutes les modifications constitutionnelles initiées par le pouvoir exécutif fondées sur l’article 89 ont suivi le chemin du château de Versailles (lieu de réunion du Congrès). Dans ce cas, la révision est adoptée à la condition de recueillir les 3/5e des voix des parlementaires présents. A défaut d’une majorité qualifiée certaine ou sur le fondement de considérations d’opportunité politique, le Président peut reporter sine die une réforme constitutionnelle.

Le scrutin référendaire, scrutin incertain par nature.

Indépendamment du fondement juridique de la consultation populaire, l’aboutissement de la réforme suppose l’accord exprimé d’une majorité de français. Les risques pour les « référendo-maniaques » sont alors doubles. D’une part, un fort taux d’abstention moins par désintérêt que par certitude du résultat acquis (quinquennat). D’autre part, et par définition, la consultation populaire peut se transformer en désaveu de ceux qui en sont les initiateurs. La certitude de la victoire au moment du choix d’en appeler au peuple peut laisser place à un résultat final très serré. Même non constituants, les référendums organisés pour les ratifications du traité de Maastricht (1992) ou du traité portant une Constitution pour l’Europe (2005) incitent à une extrême prudence. Les référendums locaux organisés en métropole portant sur les sujets d’organisation territoriale ne portent pas non plus à l’optimisme (Corse, Alsace). Il faut convenir par ailleurs, n’en déplaise encore aux « référendo-maniaques », que la complexité de la question ne peut conduire sérieusement à une réponse par oui ou par non sur les nouveaux principes applicables en la matière. Le penser c’est faire fi de l’extrême technicité et complexité des enjeux sauf à considérer de façon simpliste et caricaturale que la fusion entre deux régions conduit nécessairement à mettre en place une future collectivité territoriale aux capacités d’action et d’intervention fortes. L’association de deux régions pauvres n’a jamais abouti à une région forte. Le raisonnement est similaire pour les départements. De même, lorsqu’on s’adonne un peu au droit comparé, rien n’est plus faux et inexact de prétendre que la simplicité du schéma territorial et le faible nombre de niveaux territoriaux sont gage de puissance, d’efficacité économique et sociale. Regardons ne serait-ce que l’organisation de l’Allemagne et en son sein de la Bavière, Land le plus puissant. Les citoyens français seront surpris de constater l’entremêlement des compétences entre différents niveaux de décision publique au sein de cette collectivité. Cette observation ne signifie pas qu’il ne faille rien faire. Non, la réforme territoriale dont la lutte contre les doublons administratifs est un impératif pour engendrer de réelles économies de fonctionnement dans un environnement de disette budgétaire. Mais de grâce, ne simplifions pas le débat, ne caricaturons pas les solutions, attitudes et comportements qui résulteraient inévitablement d’un appel au peuple bien peu préparé à répondre positivement ou négativement à une question aussi complexe. En revanche qu’il y ait un grand débat parlementaire républicain relayé au niveau des territoires est une exigence démocratique.

Tout bien considéré, la meilleure méthode pour qu’aboutisse une réforme autant nécessaire qu’ambitieuse consiste à confier à nos représentants la responsabilité de trancher le débat et de définir les principes de la nouvelle organisation territoriale. Elle ne saurait cependant pas, dans ses aspects purement constitutionnels (suppression des conseils généraux), se traduire par une démarche à l’italienne qui consiste à purger les compétences des conseils élus d’une catégorie de collectivités au profit d’autres collectivités ou établissements intercommunaux. Si formellement la Constitution est respectée, elle ne l’est pas sur le fond le juge constitutionnel estimant que la libre administration se définit par des conseils élus et l’attribution de compétences effectives. Le débat constitutionnel ne fait que s’engager. Il est incontournable.

PJ

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