Devant les propos du chef de l’État sur la Justice qui critique en réalité le corporatisme et le conservatisme judiciaires, en partie justifiés (propos extraits d’un livre d’entretiens avec F. Hollande), les hauts magistrats de la Cour de cassation ont tenu à lui répondre.

Premier président de la Cour de cassation (Bertrand Louvel)

« Le Président de la République en exercice a laissé publier, sans les démentir, des propos où il qualifie l’institution judiciaire d’« Institution de lâcheté » où « l’on se planque », où « l’on joue les vertueux » et où « l’on n’aime pas le politique ».

Le prédécesseur de l’actuel Président avait quant à lui comparé les magistrats à des « petits pois sans saveur ».

Ces outrances renouvelées à l’encontre du corps judiciaire, en un temps qui requiert la cohérence de l’ensemble des pouvoirs publics, posent un problème institutionnel.

Il n’est pas concevable que la charge de Président de la République, qui comporte la responsabilité constitutionnelle de garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire, puisse être utilisée par son titulaire, avec tout le poids qu’elle représente, pour contribuer à diffuser parmi les Français une vision aussi dégradante de leur Justice.

Il est plus que temps que le pays se saisisse de la question essentielle de la place dans les institutions de l’autorité judiciaire, afin que celle-ci s’émancipe enfin de la tutelle de l’exécutif où la maintient une tradition monarchique d’un autre temps, inadaptée aux exigences de la séparation des pouvoirs dans une démocratie moderne. »

Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation

Notre entretien d’hier avec le président de la République n’a pas atténué le sentiment que la magistrature en général et les magistrats en particulier ont ressenti face à une nouvelle humiliation.

Le texte publié mérite ici d’être cité :

« Une institution de lâcheté (…) C’est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux… On n’aime pas le politique ».

Par de tels propos, le chef de l’Etat, garant constitutionnel de l’indépendance de l’Autorité judiciaire, semble n’en garantir ni la place ni la considération et ce, quel que soit le contexte dans lequel ils ont pu être tenus !

Cette atteinte à notre institution et à ceux qui la servent est d’autant plus injuste que, ces derniers temps, tous semblaient pourtant s’accorder, qui plus est dans la période terrible que notre pays subit depuis janvier 2015, à penser que notre justice, longtemps négligée, devait être une des priorités majeures dans un Etat de droit.

Que peuvent aujourd’hui penser les Français, lorsque de tels propos sont tenus sur leur Justice par la plus haute autorité de l’Etat ?

Comment peuvent-ils regarder ces hommes et femmes, engagés quotidiennement au service du bien public ?

Il devient dès lors incontournable, de poser et de régler, sans ambiguïté et loin de toute posture partisane, la question de l’ordonnancement de nos institutions et de la réelle indépendance de l’autorité judiciaire dans ce pays.

Jean-Jacques Urvoas, Ministre de la Justice

Le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas a assuré jeudi à l’Assemblée que François Hollande n’avait pas eu « un mot », « un acte », contre l’indépendance de la justice depuis 2012, en réponse à un député LR l’interpellant sur des propos critiques du président, rapportés dans un livre.

« M. le député, donnez-moi un mot, un mot public du président de la République depuis 2012, dans lequel il aurait ne serait-ce que fait un commentaire sur une décision de justice. Pas un mot, encore moins une insulte, pas un acte, pas une demande d’intervention pour interférer dans une procédure », a lancé le garde des Sceaux à l’ex-magistrat Georges Fenech (LR), qui avait dénoncé une « offense terrible ».

En plein débat sur des propositions de loi LR antiterroristes, M. Urvoas a ajouté que le chef de l’Etat n’avait pas eu « un jugement porté publiquement à l’occasion d’une émission télévisée sur tel ou tel magistrat », allusion à l’ex-président de la République Nicolas Sarkozy, dont les relations avec les juges ont été souvent houleuses.

Applaudi par les élus de gauche, le ministre de la Justice a souligné que la majorité avait voté des lois interdisant « au Garde des Sceaux de donner des instructions individuelles, pour respecter la magistrature ».

Et il a assuré que jamais un président, avant François Hollande, « n’avait respecté l’autorité de l’indépendance judiciaire », notant entre autres qu’il s’était exprimé devant le congrès de l’Union syndicale des magistrats (USM).