La nouvelle législature devrait se prononcer dans un avenir proche sur un projet de loi visant à interdire « le cumul des mandats » selon l’expression usitée. Au-delà des mots, la véritable question est celle de ses contours. Depuis 1985, la loi n’a cessé de durcir les conditions d’exercice simultané des fonctions électives et mandats électoraux… Mais sans jamais parvenir à un résultat digne du fonctionnement d’une démocratie parlementaire moderne. On ne cesse de vouloir renforcer les prérogatives du Parlement, ou plutôt de la majorité parlementaire jusqu’à présent en dépit des discours favorables aux droits de l’opposition. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a ouvert très timidement la voie à ce pilier, fondamental dans une démocratie majoritaire. Si les intentions présidentielles et celles de la nouvelle majorité parlementaire de renouveler la pratique institutionnelle sont claires et louables en accordant une place valorisée aux opposants politiques dans les débats parlementaires et politiques, elles ne peuvent concrètement raisonner positivement que si les élus nationaux ne sont pas accaparés par de lourdes responsabilités exécutives locales. La question du cumul des mandats intéresse pour cette raison tous les élus en charge de responsabilités, peu importe leur appartenance partisane ou le corps représenté.

Vouloir améliorer le fonctionnement des institutions passe bien plus souvent par une sollicitation souple des textes que par leur modification. Mais parfois l’intervention du pouvoir normatif est inéluctable. En l’occurrence, elle l’est.

Le diagnostic des maux du cumul des mandats et fonctions est connu : absentéisme, désinvestissement dans les activités de contrôle de l’activité de l’exécutif, absence de renouvellement du personnel politique, frein à la parité, débats parlementaires pris comme une caisse de résonnance de problèmes locaux spécifiques…

Interdire, certes, mais quel cumul ? Il va de soi que le non cumul des mandats doit concerner en premier lieu le mandat de député et les fonctions exécutives locales. Parmi ces dernières, la présidence d’une collectivité territoriale régionale, départementale ou d’un établissement de coopération intercommunale s’impose en raison de la charge à plein temps de ces responsabilités. Pour les communes, le débat est ouvert. Peut-on raisonnablement comparer l’investissement d’un maire ou d’un adjoint d’une commune de 2 000 habitants avec celui par exemple d’une commune de plus de 50 000 habitants ? Le seuil à définir est nécessairement arbitraire. En réalité, les maires et les principaux adjoints même de petites communes sont membres actifs d’une intercommunalité. Leur charge de travail ne cesse de croître en raison des transferts toujours plus nombreux à cet échelon de la décision locale. Aussi, ne doivent-ils pas échapper à l’interdiction du cumul avec un mandat à l’Assemblée nationale. On y parviendra d’autant plus facilement si le législateur s’engage enfin à élaborer un véritable statut de l’élu local, réforme en friche depuis plus de trente ans malgré de maigres avancées législatives.

Les sénateurs doivent-ils être visés par le non-cumul ? A défaut d’une réforme de la seconde chambre, la réponse est positive. Comme les députés, ils participent à l’ensemble de la législation et non celle spécifiquement intéressant les collectivités territoriales. Dans ce dernier cas, on pourrait discuter. En l’état actuel, non.

Certes, comme pour les députés, l’argument tiré de la nécessité d’être « au contact » du terrain ne va pas manquer d’être soulevé. Mais cet argument repose sur quelles considérations ? Qui peut démontrer et évaluer qu’un parlementaire, responsable exécutif local, est meilleur législateur qu’un élu détenant un mandat parlementaire unique ? Au-delà de l’affirmation, adieu l’érudition ! De nombreux parlementaires ont fait précisément la preuve du contraire et ont démontré qu’on pouvait n’être que législateur sans pour autant être coupé des réalités. Les nombreuses réélections de Pierre Mazeaud, ancien président de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale, pour ne prendre qu’un élu unanimement apprécié pour son investissement et ses compétences (l’un entraînant évidemment l’autre, on l’oublie trop), suffit à affaiblir l’opinion cumularde.

Mais la future législation ne saurait se fixer exclusivement sur le sort des parlementaires. Les membres du gouvernement ne sauraient y échapper. S’il est choquant du point de vue d’un principe renouvelé de la séparation des pouvoirs qu’un député ou sénateur légifère aujourd’hui sur une réforme de la décentralisation qu’il s’appliquera lui-même comme élu local (juge et partie), il est anormal qu’un membre du gouvernement détienne un mandat exécutif local alors même que ses actes pris comme autorité locale sont soumis au contrôle de légalité exercé par les préfets sur lesquels il détient un pouvoir hiérarchique. La tolérance présidentielle est variable sur ce point. Trop. La norme doit donc imposer le comportement.

La réforme peut se contenter de la voie législative organique. Toutefois, compte tenu de la force du cumul en France et de la nécessité d’adresser un message fort et symbolique, la révision constitutionnelle doit être privilégiée.

Cessons la confusion des genres. Chacun à sa place, dans son rôle, dans ses responsabilités. Non pas que les ministres abusent de leur statut lorsqu’ils agissent comme exécutif local ou que tous les parlementaires soient déméritants mais pour introduire de la clarté et de la transparence dans le système décisionnel. Cela est propice à rapprocher le citoyen de ses « élites » politiques et administratives. Un bon moyen de valoriser leur engagement et au final de renouer le lien distendu entre les gouvernés et les gouvernants. sur Huffingtonpost