Pascal Mbongo livre une anlayse personnelle à la proposition de François Hollande de constitutionnaliser les principes de la loi de 1905 sur la séparation de l’Etat et de l’Eglise. Pour l’essentiel, on souscrit aux propos ci-dessous et publiés sur huffington post france.

« François Hollande a proposé d’inscrire la loi de 1905 dans la Constitution. Il faut faire l’hypothèse qu’il n’a pas sollicité l’avis de juristes. Il est vrai que dans le débat public français, l’objet très juridique qu’est la « laïcité de l’État » est littéralement « préempté » par des… non-juristes.

L’article 1er de la Constitution dit donc que la France est une « République laïque » qui « respecte toutes les croyances ». Et la liberté de conscience est, elle aussi, déjà un principe constitutionnel. François Hollande a précisé qu’il s’agit plutôt d’ajouter que « la République respecte la séparation des églises et de l’État, conformément au titre premier de la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle ». Or nos juridictions interprètent déjà le principe de laïcité de l’État comme recouvrant, notamment, les principe de liberté de conscience et de libre exercice des cultes (article 1er de la loi de 1905) l’interdiction pour des institutions publiques d’accorder le label de service public à quelque groupement religieux et l’interdiction des subventions à des activités ou à des institutions à caractère religieux (article 2 de la loi de 1905). Soit les trois prescriptions du… titre premier de la loi de 1905. Autrement dit les prescriptions du titre Ier de la loi de 1905 sont déjà « constitutionnalisés » sans préjudice, par exemple, du « caractère propre » reconnu aux groupements affinitaires à caractère religieux ou des règles propres à l’Alsace et à la Moselle.

Pour ainsi dire, la proposition de François Hollande court un sérieux risque juridique : celui de voir le Conseil constitutionnel décider, après une révision constitutionnelle, que « l’inscription de la loi de 1905 dans la Constitution » n’a juridiquement aucun intérêt. Comme le Conseil constitutionnel s’agace de temps à autre de ce que les lois ne soient pas toujours claires et intelligibles, il peut très bien dire la même chose de la révision constitutionnelle envisagée par François Hollande. Et il ne faut pas perdre de vue que moins des dispositions constitutionnelles disent précisément ce qui est permis et ce qui est interdit, plus elles favorisent des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et plus elles compliquent le travail de juges qui doivent tenir compte à la fois de la laïcité de l’État, de la liberté de conscience ou de religion, et même de la liberté contractuelle ou de la liberté d’entreprendre de l’employeur lorsque sont en cause des entreprises privées.

Il y a aussi à compter avec la Cour européenne des droits de l’Homme. L’imaginaire français de la « laïcité » est organisé autour d’orientations religieuses institutionnalisées, les « églises » et les « cultes » comme nous aimons à dire, dans le temps où la Cour européenne considère pour sa part que ce n’est pas aux pouvoirs publics de décider de ce qu’est une croyance religieuse. Les pouvoirs publics doivent simplement prendre acte de ce qu’une croyance est revendiquée par plusieurs individus comme étant religieuse et, si besoin est, endiguer certaines de ses manifestations (l’intégrisme par exemple), mais pas d’autres (un prosélytisme bon enfant par exemple). Plus généralement, la Cour européenne a une jurisprudence qui nous pose déjà certains problèmes et est encore susceptible de nous en poser, compte tenu de certains « accommodements raisonnables » au fait religieux dans l’espace public que la Cour exige des États européens.

La proposition de François Hollande renvoie à un paradoxe : notre débat public sur la laïcité de l’État est constamment rapporté à la geste de 1905 et à un nombre fini d’orientations religieuses (christianisme, judaïsme, islam) lorsque les juristes sont habitués à observer les décisions de justice rendues dans une indifférence générale et à propos notamment des « nouveaux mouvements religieux » ou de mouvements religieux nouvellement installés en France. Ainsi, tout le monde a eu un avis sur l’interdiction du voile intégral dans l’espace public. Mais aucun débat public n’a précédé, par exemple, l’obligation faite par les juges aux sikhs de se défaire de leur turban pour des photos d’identité, même pour le « simple » permis de conduire. Et il n’y a qu’Olivier Poivre d’Arvor, le patron de France Culture, pour s’être avisé de ce que les émissions religieuses et les messes diffusées par le service public audiovisuel posent un sérieux problème de discrimination à l’égard des religions qui n’en ont pas, et qui se préparent à s’en ouvrir aux juges.

D’un point de vue plus intellectuel, la proposition de François Hollande est embarrassante dans la mesure où elle participe d’une logique d’évitement d’une question très complexe mais avec laquelle la France, comme les autres sociétés occidentales, doit composer. En tant qu’elle est laïque, la République voudrait confiner les croyances religieuses dans le for intérieur ou l’espace domestique des individus. Mais en tant qu’elle est démocratique et libérale, elle ne peut priver les croyants du bénéfice de libertés publiques. A moins de décider – on n’imagine pas que ce soit l’idée constitutionnelle de François Hollande – que les opinions fondées sur des croyances religieuses seraient désormais exclues du bénéfice de la liberté d’expression, de la liberté des réunions ou de la liberté des manifestations. C’est dire que l’idée de François Hollande, peut-être au corps défendant du candidat du parti socialiste à l’élection présidentielle, retarde plutôt qu’elle ne stimule la réflexion que gauche et droite devraient développer sur le principe des « accommodements raisonnables » au fait religieux qu’impose la cour européenne des droits de l’Homme. Étant admis qu’il n’existe aucune incompatibilité de principe entre cette doctrine des « accommodements raisonnables » et la laïcité de l’État. »

Pascal Mbongo, agrégé des facultés de droit, professeur des universités.