Les députés de la majorité présidentielle, « d’un cœur léger », ou un bandeau sur les yeux, ce 8 juin, votent le projet de réforme des collectivités territoriales. Très peu d’entre eux étaient présents dans la discussion finale des articles, jeudi dernier, à l’heure où les cabarets, les restaurants de nuit chassent poliment leurs derniers clients ; et la très grande majorité d’entre eux ignore également que trois feuillets, non examinés en commission, ont suffi pour modifier une disposition majeure de la vie politique et de l’exercice de la démocratie. A cette très grande majorité de représentants du peuple – et si ces derniers n’ont pas lu et relu le coup de projecteur de Patrick Roger dans Le Monde daté du 5 juin – rappelons lui le dernier tour de passe-passe, au cours d’une séance de nuit de la semaine passée…

Jeudi 3 juin, à deux heures vingt cinq du matin, les députés venaient de finir l’examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Vingt minutes plutôt, ils votaient, à la sauvette, en moins de trois minutes, un amendement du rapporteur du texte, Dominique Perben, modifiant fondamentalement une autre loi, celle du 11 mars 1988 sur le financement des partis politiques. Le procédé demeure cavalier et l’examen de l’amendement « 599 » – mis en ligne trois heures auparavant – s’est borné à un simple avis du secrétaire d’Etat, Alain Marleix, l’approbation alambiquée du centriste Michel Hunault, la réprobation – sur la forme – d’un député communiste, et de deux élus socialistes, Bruno Leroux et Bernard Derosier. Point d’échange sur la rédaction du texte, aucun débat, à l’exception d’une polémique sur le dépôt tardif d’un tel amendement et finalement…emballé vendu !

Toutefois, cet amendement « 599 rectifié » introduit une donne importante dans le mode de financement des partis : il désacralise l’unique référence qui jusqu’alors prévalait : les élections législatives. L’observatoire de la vie politique et parlementaire avait le 28 avril dernier (voir sur le site www.vlvp.frdans Etudes/partis) suite aux réserves de constitutionnalité (Conseil constitutionnel – 30 mai 2000) qu’il livrait, concernant les propositions de loi des socialistes et de la députée UMP Chantal Brunel sur la parité et les sanctions sur le financement des partis, émit l’idée de réformer la loi de 1988, en y introduisant une conception plus large de l’espace électoral et en y incorporant les élections locales ou territoriales. La proposition fragmentait différemment la dotation globale actuelle sans devoir porter atteinte à l’une de ses originalités : la liberté aux députés et sénateurs d’apporter leur agrément au parti de leur choix. Cette proposition méritait une longue réflexion, d’autant qu’il est difficile, dans ce genre de construction intellectuelle, d’échapper aux « usines à gaz ».

L’amendement du rapporteur, jeudi dernier, reprenait cette perspective en refragmentant la dotation globale : 50 % toujours réservés aux attributions sélectives par les parlementaires, et les autres 50% de la dotation, répartis en deux tiers sur la base des législatives et un tiers sur la base des élections « cantonales ». Si cette nouveauté permet de tenir compte d’une vie politique plus dispatchée au travers de sensibilités et de proximités autres que les grands partis traditionnels, il ne faudrait pas, pour autant, qu’elle ouvre la voie à l’émergence ou la prolifération de partis occasionnels profitant de l’argent public pour masquer des activités personnelles étrangères à la vie publique comme c’est le cas actuellement – en pure légalité, d’ailleurs – pour certains bénéficiaires de l’une ou l’autre fraction du financement inscrit chaque année dans la loi de finances. L’amendement voté change donc le dispositif existant, sans risque d’inconstitutionnalité, en responsabilisant les partis au regard aussi de la parité puisque seraient appliquées à la part réservée à l’élection des conseillers territoriaux, un processus identique à celui mis en œuvre déjà pour les candidatures aux élections législatives. Néanmoins de nombreuses questions demeureraient en suspens : celle particulièrement de l’ajustement des fractions, au niveau budgétaire, compte-tenu du décalage évident entre le calendrier législatif et le calendrier territorial. Une différenciation, dans l’adéquation entre le financement de la vie publique et l’expression démocratique issue des urnes, surgit dès lors ; ce n’est plus comme auparavant la distinction entre les élections législatives et les élections locales mais le rattachement financier de la vie politique au seul scrutin majoritaire uninominal (législatives et territoriales), laissant le scrutin proportionnel (« municipales » et « européennes ») à une logique de panachage et de composition plurielle qui supposerait que sa lisibilité ne permette pas une pertinence et une suffisance d’existence ou de prédominance partisane.

Ces quelques réflexions déterminent que le vote d’un tel amendement aurait nécessité un vrai débat, une étude d’impact comme le souhaitait, en séance le socialiste Bruno Leroux. Au Sénat de reprendre l’ouvrage, l’améliorer, lui apporter les sécurités juridiques qui, par la même occasion, éviteraient la dérive de financements de partis fantaisistes. Quant à la parité, disparue par la suppression d’un type d’élection – ce qui ne rend pas, au demeurant, l’architecture nouvelle inconstitutionnelle – elle regagnerait par la modulation de l’aide publique pour les élections territoriales le caractère incitatif et responsable pour atteindre l’objectif constitutionnel sans donner « le caractère d’une sanction » que le Conseil constitutionnel avait rejeté en mai 2000. La révision de la loi de 1988 ne s’était pas invitée dans le projet de loi initial sur les collectivités territoriales. Et d’une initiative, a priori fondée, mais mal mesurée et peu habilement introduite…est né un doute, un parfum, encore, de manœuvre et d’arrangement avec le diable.