Le Conseil des ministres vient d’adopter une série de mesures législatives qui relèvent d’une opération « mains propres » de la vie politique. On connaît les raisons de ces initiatives. Inutile d’y revenir. Un cas individuel a semé une suspicion généralisée et excessive sur les responsables publics. On sait aussi combien de très nombreux parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, sont réservés voire hostiles à ces textes qui jettent un soupçon généralisé sur les responsables politiques. Les ministres ont, forcés et contraints, dévoilé leur patrimoine. Doit-il en être de même pour tous les élus de la nation et les grands élus locaux ? La question n’est pas si simple même si les français interrogés sur la question y sont favorables. Dans le même temps, ils jugent les priorités ailleurs. Relevons aussi que de réels progrès ont été réalisés avec une loi de 2011 qui renforce le contrôle sur les élus. Elle prévoit, en cas de déclaration partielle ou fausse des parlementaires et des grands élus locaux à la Commission pour la transparence financière de la vie politique, une sanction de 30.000 euros d’amende assortie éventuellement d’une peine d’inéligibilité. Mais cette Commission qui compare le patrimoine entre le début et la fin du mandat n’a pas vocation à enquêter sur les données qui lui sont soumises qui demeurent confidentielles. Le défaut de la cuirasse en quelque sorte.

Si l’on devait résumer de façon caricaturale les projets de loi qui seront discutés en premier lieu à l’Assemblée nationale, la transparence de la vie publique repose sur la publicité des déclarations de patrimoine et d’intérêt. En effectuant un bref tour d’horizon sur les solutions retenues à l’étranger, on constate que d’autres pistes moins radicales et donc plus consensuelles existent.

En adoptant les projets de loi adoptés en Conseil des Ministres, le Parlement placerait la France dans le petit lot d’Etats qui imposent une publication officielle des déclarations de patrimoine et d’intérêt, avec indication précise de leur valeur respective. Citons les Etats-Unis, l’Italie, la République Tchèque et la Pologne. La publicité dans ces Etats est réalisée très largement. Ainsi aux Etats-Unis, le régime de « financial disclosure » détaille très précisément le patrimoine financier du ménage (actions, comptes en banque, participation), à l’image de la plupart des déclarations récentes des ministres français, ainsi que la rémunération de toutes autres activités. A l’opposé, un deuxième groupe de nations ne prévoit aucune forme particulière de publicité du patrimoine et des rémunérations diverses des parlementaires. Chypre, Belgique, Slovénie entrent dans ce club. Enfin, un troisième groupe d’Etats – le plus important – mixe les deux régimes précédents en refusant la divulgation publique et précise du patrimoine mais en imposant la déclaration d’intérêt. Citons les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Finlande, L’Islande, le Danemark, la Croatie… Dans ce club, des variantes existent quant à l’imposition de seuils pour déclarer publiquement des intérêts particuliers. En Finlande par exemple, très en pointe sur la lutte contre la corruption des parlementaires et des juges, les parlementaires communiquent essentiellement des informations sur les activités accessoires, les avoirs importants, un endettement supérieur 100 000 euros contracté à des fins commerciales ou de placement et les garanties données ou autres engagements souscrits aux mêmes fins d’une valeur supérieure à 200 000 euros. Au Royaume-Uni, la déclaration du patrimoine est de rigueur mais sans divulgation de sa valeur. Au Canada, la loi oblige également à déclarer sommairement le patrimoine des parlementaires (nature et source) mais sans indication de valeur.

Cette troisième voie est la plus prometteuse et assurément la plus respectueuse de la vie personnelle des élus et de la nécessité de transparence des élus. En effet, ces Etats sont parmi les mieux « notés » par le Groupe d’Etats Contre la Corruption (GRECO), organe placé auprès du Conseil de l’Europe (www.coe.int/greco). Une solution acceptable consisterait à autoriser, sous le contrôle d’une Haute Autorité indépendante, la publication d’une déclaration de patrimoine sans indication de sa valeur et une déclaration plus détaillée d’intérêt qui donnerait un aperçu des compléments salariaux et autres que les parlementaires tirent de certaines activités, en sus de leur mandat parlementaire. La réflexion ne peut donc faire l’économie de la question du cumul du mandat parlementaire avec d’autres activités professionnelles.

Il n’est pas contestable que l’interdiction absolue de toute activité professionnelle rémunérée tant privée que publique constitue la mesure la plus radicale. Sur le plan des principes, cette option est même la plus satisfaisante et résoudrait du même coup la possibilité pour un juge constitutionnel d’exercer une fonction de conseil juridique compte tenu de l’alignement en la matière du statut des conseillers constitutionnels sur celui des parlementaires. Est-elle pour autant souhaitable ? Il n’est pas certain que ce régime stricte d’incompatibilité non seulement recueille une majorité au sein des parlementaires mais encore réponde de façon appropriée et équilibrée aux dérives constatées et à la nécessité de préserver un « filet » de repli pour les élus qui arrêteraient par décision du peuple ou volontairement leur mandat. En la matière, il est peut-être préférable de laisser les parlementaires évaluer leur propre situation sous le contrôle d’une autorité administrative indépendante qui pourra, le cas échéant, contester tout cumul du mandat parlementaire avec une activité professionnelle. Si le conflit est réalisé, le parlementaire devra cesser sur le champ son activité professionnelle incompatible sous peine d’être réputé démissionnaire de son mandat de député, de sénateur ou de membre d’un exécutif local par le Conseil constitutionnel (élus nationaux) ou le Conseil d’Etat (élus locaux) saisit par la Haute autorité administrative en charge de ces questions et dotée de réels pouvoirs d’enquête.

Dans tous les cas de figure, la nouvelle législation doit impérativement s’accompagner d’un statut de l’élu depuis des années réclamé par les élus de droite comme de gauche mais qui demeure un mirage législatif.

Article mis à jour sur Huufingtonpost